Juliette Récamier

Qui est cette Juliette Récamier dont le nom est inséparable de celui de Chateaubriand ? Elle fut l’égérie du poète, sa plus tendre et plus fidèle amie. Leur relation amoureuse a duré 30 ans. Il la vit pour la première fois chez madame de Staël en 1801. Vision fugitive, qu’il note ainsi : ”Une robe blanche sur un sofa de soie bleue”. Elle a 24 ans, sa beauté fait merveille. Juliette Récamier mille fois citée, aimée, courtisée est une figure célèbre de cette époque. On disait d’elle qu’elle savait charmer, retenir et repousser les hommages trop pressants, sans se faire d’ennemis. Sous le Directoire, avec Hortense de Beauharnais elle fut l’une des reines à la mode qui recevait dans les salons fastueux, de son hôtel de la rue du Mont Blanc. On la disait aussi bonne et délicate. Les femmes recherchaient son amitié. Germaine de Staël l’adorait. Sa diplomatie naturelle agissait merveilleusement sur Céleste, l’épouse de René. Aimée de tous les hommes, n’en désespérant aucun, elle semble inattaquable. Seul Benjamin Constant, éconduit et malade de jalousie, fait un portrait d’elle, peu flatteur. Sainte Beuve, connu pour sa méchante langue — Victor Hugo l’appelait Ste Bave — parle d’elle en termes bienveillants. Née à Lyon, Julie Bernard épouse à 15 ans le banquier Jacques Récamier, l’amant de sa mère. Union de pure convenance et d’amitié, ce mariage resta un mariage blanc. On dit que Jacques Récamier l’avait épousée pour qu’elle puisse bénéficier de sa fortune au cas où il disparaîtrait dans les troubles de la Révolution. Ce banquier, qui était peut-être son père, fit faillite. Après sa ruine, les amis de Juliette, pour la plupart opposants au régime impérial, la retrouvent rue Basse du Rempart puis au couvent de l’Abbaye au Bois où elle tient un salon, dont l’influence est reconnu dans le domaine des lettres et de la politique. René la rejoint chaque jour quand il est à Paris. Au fil des ans leur liaison fait figure d’institution nationale.

Ce soir de 1817, René retrouve Juliette. Elle a 40 ans, lui 10 années de plus. Ils sont reçus chez madame de Staël, déjà gravement malade et qui meurt quelques jours plus tard. La belle Juliette Récamier inaugure une liaison avec Chateaubriand ; d’abord elle est fière d’orner son salon d’un nom prestigieux, puis elle est follement éprise, pour la première fois de sa vie. Elle avoue à une amie : ”Il était impossible à une tête d’être plus complètement tournée que l’était la mienne du fait de Chateaubriand. Je pleurais tout le jour”. Elle lui consacra toute la fin de sa vie avec un dévouement absolu, après un essai de rupture dont nous reparlerons. Son opposition à Napoléon, la met sur les chemins de l’exil comme son amie Germaine de Staël. Elle part pour l’Italie en 1811.

Canova

À Rome, elle rencontre le sculpteur Canova, empressé auprès d’elle. Chateaubriand parle longuement de Juliette dans ses Mémoires d’Outre-Tombe ; “madame de Récamier était trop fière pour demander son rappel. On l’avait longtemps et inutilement priée d’orner la cour de l’empereur” (Lucien Bonaparte, le frère de Napoléon, l’aimait ; ses lettres montrent un amour passionné). Chateaubriand poursuit : “madame Récamier se retira en Italie. Rome était alors une ville de France, capitale du département du Tibre. Le pape gémissait, prisonnier, à Fontainebleau, dans le palais de François 1er. Conquise (...) la Ville éternelle se taisait plongée dans ses ruines ; Canova reçut Mme Récamier comme une statue grecque que la France rendait au musée du Vatican. Il avait une maison à Albano ; il l’offrit à Mme Récamier ; elle y passa l’été.” Canova fit deux bustes de Juliette ; amoureux d’elle dit-on et fâché qu’elle ne répondît pas à ses avances, il transforma un des deux bustes en la Béatrice de Dante. Beau détournement qui reste un hommage.

 

 

Les sœurs de Napoléon : Caroline Bonaparte et Pauline Borghese

Plus tard, Juliette est reçue chez le roi et la reine de Naples : Murat et Caroline Bonaparte, l’une des sœurs de Napoléon. Chateaubriand la dessine d’un trait sûr : “madame Murat n’était pas un camée antique aussi élégant que la princesse Borghèse, mais elle avait plus de physionomie et d’esprit que sa soeur. À la fermeté de son caractère on reconnaissait le sang de Napoléon”. Les sœurs de Napoléon croisent souvent la route de l’auteur. Déjà, en 1804, secrétaire de légation à Rome, il avait été chargé d’une commission charmante pour Pauline Bonaparte. Il raconte : ”Vers le milieu de mon séjour à Rome, la princesse Borghese arriva. J’étais chargé de lui remettre des souliers de Paris. Je lui fus présenté. Elle fit sa toilette devant moi. La jeune et jolie chaussure, qu’elle mit à ses pieds, ne devait fouler qu’un instant cette vieille terre”. (Pauline Borghese mourut en 1825). Pauline Bonaparte, la soeur préférée de Napoléon, fut magnifiquement sculptée par l’illustre Canova. La voilà, telle qu’on peut l’admirer dans les salons de la Villa Borghese. Chateaubriand qui admirait sa beauté, écrit dans ses Mémoires d’outre-tombe : ”Si elle eût vécu aux jours de Raphaêl, il l’aurait représentée sous la forme d’un de ces amours qui s’appuient sur le dos des Lions de la Farnesina et la langueur eût emporté le peintre et le modèle.” Sans doute, doit-on comprendre que le créateur eût succombé aux charmes de celle qu’il peignait.

Juliette Récamier à Rome

Juliette devait revenir à Rome en 1823, nullement poussée par l’attrait des voyages mais parce que son amant à qui elle se dévoue corps et âme, utilisant au mieux ses relations pour favoriser les ambitions de René, cet amant ne lui est pas fidèle et qu’elle le sait. Juliette lui bat froid depuis son retour de Londres. Les frasques amoureuses de l’ambassadeur n’ont échappé à personne et les nouvelles vont vite. Mais le pire attend la belle Juliette car une autre belle, nouvelle venue occupe son amant. Elle s’appelle Cordélia de Castellane. Chateaubriand en est fou. Il lui écrit des lettres brûlantes, délirantes, restées longtemps inédites. Monsieur le ministre des Affaires Étrangères, en pleine guerre d’Espagne qu’il a engagée et soutenue, écrit à Cordélia qu’il maudit la prise de Cadix, parce qu’elle l’empêche de passer une nuit avec elle. Il invente des séjours à l’extérieur de Paris, à l’usage de sa femme Céleste mais surtout de Juliette, pour retrouver Cordélia. Juliette a tout supporté jusqu’à présent, elle ne supportera pas Cordélia. Elle est humiliée, cette liaison est la fable de Paris.

Elle part pour l’Italie ; l’Italie où elle et René se succéderont sans jamais se rencontrer. Elle arrive à Rome accompagnée de sa nièce, Amélie et de ses chevaliers servants, tous deux amoureux d’elle. Chateaubriand lui écrit, piqué de son départ : “Si vous partez, vous reviendrez bientôt ; vous me retrouverez tel que j’ai été et tel que je serai toujours pour vous. Je vous aime de toute mon âme. À vous pour la vie.

À Cordélia, en même temps : “Mon ange, ma vie, je t’aime avec toute la folie de mes premières années. J’oublie tout, depuis que tu m’as permis de tomber à tes pieds. À toi, pour la vie“. Avec Juliette, Chateaubriand joue l’amant trahi, “rue de l’Abbaye, je ne vous retrouverai plus, vous n’y serez plus, vous l’avez voulu. Me retrouverez-vous ? Apparemment, peu vous importe !“ Admirons sa mauvaise foi !

Madame Récamier arrivée à Rome, loue un appartement place d’Espagne, le lieu de rencontre des Français. Elle devient une attraction pour la société cosmopolite romaine et reconstitue une sorte de salon avec ses familiers. Les artistes de la Villa Medicis fréquentent sa demeure. Elle panse ses plaies d’amoureuse blessée, entourée des hommages rendus à sa beauté déclinante mais encore célèbre. Elle est comme un de ces beaux temples romains très visités ...

Pendant ce temps, Chateaubriand subit quelques revers de fortune. Renvoyé par le gouvernement Villèle, il se trouve dépossédé non seulement d’un titre prestigieux mais encore, de cette aura qui accompagne toujours les gens célèbres ; Cordélia de Castellane l’abandonne, un ministre sans titre n’est plus qu’un amant comme les autres. Voilà notre Génie renvoyé à ses chères études, tout contusionné de ce qui lui arrive. Son orgueil est sa meilleure armature, mais que faire sans une femme compatissante ? Bien sûr, Céleste est là. Mais Juliette, où est Juliette ? Chateaubriand revient à elle, espérant se faire pardonner. Elle est loin, la belle romaine ; déjà un an qu’elle est partie ! Chateaubriand supplie : ”Ne m’écrivez pas des billets si secs et si courts”. Il termine comme toujours : ”A vous, pour la vie !“ Formule usée ; il l’emploie pour Cordélia qui déjà vogue vers d’autres amours. René insiste pour que son égérie rentre à Paris ; il réclame sa présence. Elle, souveraine dans son exil romain, confie à l’une de ses amies : “Je trouve ici, dans les arts, une distraction et dans la religion un appui qui me sauveront de tous les orages”. Elle attend sans doute les supplications de l’infidèle !

Enfin le 31 mai 1824, après un an et demi d’absence, Juliette est à Paris. Avant de quitter l’Italie, elle commande au sculpteur danois Thorwalsden, un bas relief illustrant une page des “Martyrs” de son amant de génie. Ce geste de conciliation lui permet de reprendre naturellement des relations avec lui. À peine rentrée elle écrit à une amie : ”Il me dit les mêmes choses qu’autrefois mais je ne les crois plus et grâce à Dieu j’ai d’autres pensées”. Mais nous savons qu’elle est de nouveau sous le charme de l’enchanteur. Elle sait aussi entretenir les meilleures relations avec Céleste qu’elle écoute, aide et charme par sa douceur. Chateaubriand respire, son amour propre est guéri et Juliette l’aide à supporter sa femme.

 
Chateaubriand et l’Italie - Portraits de femmes : Juliette Récamier
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