1833, deuxième séjour de Chateaubriand à Venise

 

Silvio Pellico (1789-1854) (1/3)

 

Cet écrivant, piémontais d’origine, fut un ardent patriote, un carbonaro qui lutta pour libérer son pays du joug des autrichiens. Son activisme politique lui valut d’être arrêté en 1821. Il fut emprisonné sous les plombs à Venise et condamné à mort ; condamnation muée en quinze ans de carcere duro, qu’il passa dans la forteresse sombre du Spielberg, en Slovaquie.

Chateaubriand avait lu son livre autobiographique écrit durant son incarcération (Mes prisons). Il l’avait lu avec passion comme beaucoup de ses contemporains.

Le pont des soupirs

Il aimait l’écrivain, le résistant, l’homme d’honneur qui risque sa vie pour défendre ses convictions. Nous savons par une lettre de sa correspondance, à sa chère Juliette, qu’il se promettait de faire sur place une enquête pour vérifier les dires de Pellico, dix ans après sa captivité. Il voulait surtout retrouver les traces de sa geôlière Zanze, jeune adolescente gracieuse, qui sut adoucir la dureté de sa vie carcérale et charmer le pauvre prisonnier. “Je tenais beaucoup à savoir ce qu’était devenue la gardienne de Silvio Pellico”, écrit Chateaubriand.

À peine arrivé, dans la ville, Chateaubriand exécute son programme. Il visite la geôle du poète “sotto i piombi” et s’empresse de mettre son secrétaire, Jacinthe Pilorge, à la recherche de la jeune sbire vénitienne.

L’enquête aboutit grâce à la diligence de Pilorge qui retrouve Zanze et sa famille dans un appartement sous-loué du palais Cicognara. Zanze était mariée et demeurait chez sa mère avec son mari. Elle s’occupait de mosaïques et de broderies. Ce fut un prétexte pour Chateaubriand qui se présenta comme amateur de mosaïque afin d’approcher Zanze. Qu’était-elle devenue après ces dix ans écoulés ? L’enchanteur plein de verve campe une scène enlevée digne de Carlo Goldoni. J’aurais eu plaisir à vous lire cette scène amusante, si elle n’était si longue. Voici cependant quelques extraits, dont la description physique de la petite géolière vénitienne. “Antonio est arrivé avec Zanze. J'ai vu apparaître une femme plus petite encore que sa mère, enceinte de sept ou huit mois, cheveux noirs nattés, chaîne d'or au cou, épaules nues et très belles, yeux longs de couleur grise et di pietosi sguardi, nez fin, physionomie fine, visage effilé, sourire élégant, mais les dents moins perlées que celles des autres femmes de Venise, le teint pâle plutôt que blanc, la peau sans transparence, mais aussi sans rousseurs."

S’en suit une scène enlevée où alternent les répliques des trois personnages : Zanze, sa mère et l’auteur.

"(…) Zanze reprenant ma main dans les deux siennes, s'est mise à me détailler l'histoire de ses études de mosaïques. Elle s'embellissait à mesure qu'elle parlait. Pellico a très bien peint le charme de ce qu'il appelle la laideur de la petite geôlière, bruttina : grazioze adulazioncelle, venezianina adolescente sbirra.

(…) Telle est la puissance du talent : Pellico a prêté à sa consolatrice bruttina qui chassait si bien les mouches avec son éventail, un charme qu'elle n'a peut-être pas. La Siora Zanze est un ange d'amour (…) Elle est d'une séduction irrésistible lorsque Pellico s'enchaînant de ses chers bras, dalle sue care braccia, sans la serrer contre lui, sans lui donner un baiser lui dit balbutiant : Vi prego, Zanze, non m’abbraciate mai ; cio non va bene”. Et voilà Zanze la petite plébéienne de Venise devenue non seulement la créature de Silvio Pellico, mais aussi celle de Chateaubriand : deux fois immortalisée. Quel honneur !

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1833, 2ème séjour à Venise — Silvio Pellico (1/3)
"Pellico  2/3"  

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