1833, deuxième séjour de Chateaubriand à Venise

 

La duchesse de Berry (1798-1870)

  

Qui était la duchesse de Berry ? Une aventurière, une fougueuse amazone, une fauteuse de troubles ? C’est une italienne, née Marie Caroline fille de François Ier roi de Naples. Si Chateaubriand se trouve à Venise ce mois de septembre 1833, c’est pour répondre à l’appel de sa suzeraine. Belle-fille de Charles X, la duchesse est la mère du duc de Bordeaux, "l’enfant du miracle", appelé Henry V par les légitimistes, dont Chateaubriand, leur porte-parole. Il soutient la duchesse, même s’il tente de modérer ses excès et son agitation.

Un an auparavant, en 1832 elle a fomenté une conspiration et tenté de rallier les ultras à sa cause : renverser Louis-Philippe d’Orléans, l'usurpateur et mettre sur le trône Henri, fils posthume du duc de Berry, son mari assassiné en 1820 à Paris. Vivant en italie depuis 1831, mariée secrètement au comte Lucchesi-Palli, elle décide de se lancer dans l’aventure, une folle équipée qui échoue lamentablement. Entourée des légitimistes gagnés à sa cause elle débarque secrètement, en avril 1832 sur les côtes de Provence. Mais elle échoue à entraîner à sa suite les ultras marseillais et doit se cacher.

Pourchassée par la police, elle parvient à gagner la Vendée déguisée en jeune paysan, tente d’intéresser les Vendéens à son combat, … mais elle rencontre peu d’échos auprès de la population. Plus de trente ans ont passé depuis les guerres de Vendée. C’est désormais une région pacifiée et son projet apparaît comme une extravagance, même si elle trouve l’appui du baron de Charrette. Elle se réfugie à Nantes où elle est découverte, à la suite d’une trahison et transférée à la forteresse de Blaye. Là, elle accouche d’une fille, jetant ainsi quelque discrédit sur sa cause. L’équipée tourne au Vaudeville. Les moqueries vont bon train.

Chateaubriand outré de son emprisonnement, prend sa défense, il écrit un Mémoire sur la captivité de madame la duchesse de Berry, s’offrant à défendre sa cause qui rejoignait la sienne, puisque lui aussi refusait la monarchie orléaniste. Il lui écrit : “Illustre captive de Blaye (…) votre fils est mon roi”. Son mémoire fait beaucoup de bruit et Chateaubriand devient le champion de la monarchie légitime, le soutien officiel de la duchesse.

Ce qui ne l’empêche pas de porter un jugement très mitigé sur Marie Caroline. Un jour, il répondit à la duchesse de Boigne que peu lui importait “cette danseuse de corde d’Italie”, cette femme extravagante qui ne voulut jamais écouter ses conseils de modération, mais elle est la mère de l’héritier légitime — Henri V — le dernier des Bourbons : un symbole sacré.

Cependant, il est difficile pour Chateaubriand, vassal de la folle duchesse, d’accepter que “l’ange de la royauté” comme l’appelait la fraction légitimiste, ait mis au monde au fort de Blaye, une fille. Marie Caroline doit avouer à son beau-père, Charles X, qu’elle a épousé le comte Lucchesi-Palli, qui serait donc le père de son enfant. Or cela fait deux ans qu’elle n’a pas vu son mari, si bien que la presse de Paris et de Naples se moque de lui et l’appelle “Saint Joseph”. Mauvais coup pour les légitimistes, dont Chateaubriand. Mais l’histoire et la littérature exigent de faire de cette saltimbanque, une héroïne pleine de vertu.

En 1833, à Venise, notre vicomte a perdu toute illusion quant à la cause qu’il soutient. Il est lassé du rôle qu’il joue auprès des derniers Bourbons, exilés à Prague. Son sens de l’honneur exige pourtant qu’il continue à servir sa souveraine d’opérette, ainsi que le vieux roi Charles X qui veille à Prague sur les “larves royales”, endormies au château du Hrasdschin comme dit l’auteur, entendons par là, non seulement Henri V, le fils de la duchesse, mais aussi le duc et la duchesse d’Angoulème, survivante du Temple, fille de Louis XVI.

Il se sent fatigué de ces ambassades risquées, de ces aller et retour Paris-Prague, mais il ne saurait s’y soustraire… Pas plus qu’il ne se dérobe à l'appel de la duchesse qui lui donne rendez-vous à Venise. Elle veut reprendre son fils Henri, âgé de quatorze ans. C'est pourquoi, elle a chargé Chateaubriand de cette négociation délicate auprès de Charles X. Celui-ci refuse de confier Henri à sa mère, qu’il n’aime pas.

Chateaubriand accourt à Venise pour rencontrer la duchesse et lui faire part du résultat de l’ambassade. Elle n’est pas au rendez-vous, ce qui vaut à notre ambassadeur, une semaine de vacances délicieuses. Il verra la duchesse le 18 septembre à Ferrare. Ils pourront se congratuler et jouer au chevalier et à la dame. “Elle me reconnut au milieu de la cohue — écrit-il — elle me tendit la main en me disant : “Mon fils est votre roi”” en réponse au fameux “Madame, votre fils est mon roi”, le refrain qui scandait sa lettre à la duchesse, qu’il voulait servir. Croit-il encore en son serment ? Ses propos permettent d’en douter.

Après Venise, Chateaubriand visite Ferrare, Padoue, puis chargé des lettres de la duchesse qui une fois de plus remet son sort et celui de son fils entre ses mains, il se prépare à regagner le sombre château praguois, après cette parenthèse lumineuse vénitienne. “J’avais plus envie de revoir Zanze que Charles X”, note-t-il, sobrement, dans les Mémoires d'outre tombe.

 

  "Pellico  3/3"
1833, 2ème séjour à Venise — La duchesse de Berry
"Réverie au Lido"   

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