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L’heure de Pagello a sonné. Le docteur vénitien peut jouer le troisième personnage de cette comédie amoureuse qui se met en place à Venise. George est mal soignée par un certain Dr Santini. “Non v’é arteria“ dira le diafoirius incompétent, incapable de trouver l’artère à saigner. L’hôtelier fait venir un jeune médecin chirurgien, assistant à l’hôpital S. S. Giovanni e Paolo. Pagello entre au Danieli et rencontre celle qui va bouleverser sa vie. Du quai des Esclavons, il l’a aperçue, au balcon de l’hôtel Danieli, lourds cheveux noirs couverts d’un turban rouge, fumant un cigare, immobile, auprès d’un jeune homme blond. Image qui l’a frappé.

Pietro, dans le journal qu’il a laissé, comme témoignage de ses amours avec la célèbre française, trace ce court portrait : ”Una donna giovine d’una fisionomia melanconica, con capegli nerissimi e due occhi d’una espressione decisa e virile.

Le jeune médecin lui propose une saignée qui la soulage immédiatement. George commence à revivre. Au plus fort de son désespoir, elle a trouvé une figure amie, quelqu’un qui la regarde avec admiration. Enfin Venise lui sourit ! Entre le médecin et sa patiente s’établit d’abord une relation amicale puis bientôt une intimité croissante qui provoquera la jalousie de Musset. Mais avant cette rencontre, les disputes sont quotidiennes entre George et Alfred. Avant tout sentimentales, elles sont aussi d’ordre professionnel, pourrait-on dire. Vivre à Venise n’empêche pas l’infatigable romancière de se livrer à sa passion dominante, l’écriture. Elle comprend mal que Musset n’en fasse pas autant. Or le poète est en panne d’inspiration. Ce n’est pas un tâcheron organisé, méthodique, capable d’écrire sur tout à tout moment comme sa compagne. Au poète, il faut l’étincelle qui fasse jaillir l’inspiration, des émotions fortes, de l’alcool surtout et la fréquentation des filles, autre excitant nécessaire. Musset l’a d’ailleurs reconnu: “Je n’ai jamais pu travailler qu’à mes heures et non par commandement.“ Deux natures opposées, deux styles différents. Tels ils sont, tels ils resteront.

Le 30 janvier Musset tombe malade et George fait une rechute. Elle écrit à Boucoiran, le précepteur de Maurice : “Je viens encore d’être malade… d’une dysenterie affreuse. Mon compagnon de voyage est très malade aussi." Inquiète pour Musset, elle écrit au Dr Pagello un billet où elle tente, dans un italien maladroit, de lui expliquer le tempérament du poète : “Poeta molto ammirato in Francia. Mais l’exaltation du travail de l’esprit, le vin, les fêtes, les femmes, le jeu l’ont beaucoup fatigué et excité… Il y a 3 mois, il a été comme un fou pendant une nuit ; il voyait comme un fantôme autour de lui et criait de peur et d’horreur." La romancière fait allusion aux premiers temps de leur rencontre, à leur évasion amoureuse dans la forêt de Fontainebleau. Musset en proie à la folie comme le chevalier Tristan dans les bois de Noroît, fut pris de frénésie hallucinatoire sous les yeux effrayés de sa compagne. Scène pénible, toujours présente à l’esprit de George Le poète, quant à lui, fixera ses souvenirs dans La Nuit de décembre, où son double lui apparaît.

“A Florence, au fond des palais
À Gênes sous les citronniers
À Venise, à l’affreux Lido
Où vient sur l’herbe d’un tombeau
Mourir la pâle Adriatique
Partout où j’ai voulu dormir
Partout où j’ai voulu mourir
Sur ma route est venu s’asseoir
Un malheureux vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère."

Ce malheureux vêtu de noir hantera bientôt ses cauchemars vénitiens. George Sand raconte au précepteur de son fils, en date du 8 février 1833 : "La nuit dernière a été horrible. 6 heures d’une frénésie telle que malgré deux hommes robustes, il courait nu dans la chambre… Les deux hommes ne pouvaient lui faire lâcher le collet de ma robe…

A Buloz, son éditeur, elle confie le 13 février : "Il y a 8 jours que je ne me suis déshabillée". Et dans Histoire de ma vie : “Je passais 17 jours à son chevet sans prendre plus d’une heure de repos sur 24." Musset souffre de crises de delirium, de folie furieuse aggravées par son alcoolisme. C’est vraiment la fin du rêve vénitien. George aidée de Pagello, lutte pour maintenir en vie le poète moribond. Au chevet du malade, ils font connaissance et s’apprécient. Pagello écrira dans ses souvenirs “Nous parlions de la littérature, des poètes et des artistes italiens, de Venise, de son histoire, de ses monuments, de ses coutumes.“ George Sand prend des notes qui nourriront ses futurs romans. Un soir, elle se met à écrire avec la fougue d’un improvisateur, comme le consigne Pagello. Une heure plus tard, elle remet un feuillet au Docteur, écrit sur l’enveloppe “Au stupide Pagello“ et lui dit : ”C’est pour vous.

Dans ce texte, curieusement intitulé, En Morée, la romancière exprime son désir d’un nouvel amour. En voici quelques extraits : ”Nés sous des cieux différents, nous n’avons ni les mêmes pensées ni le même langage ; aurons-nous du moins des cœurs semblables ? L’ardeur de tes regards, l’étreinte violente de tes bras, l’audace de tes désirs me tentent et me font peur. Seras-tu pour moi un appui ou un maître ? Me consoleras-tu des maux que j’ai soufferts avant de te rencontrer ? Es-tu un homme? Qu’y a-t-il dans cette mâle poitrine, dans cet œil de lion, dans ce front superbe ? Serai-je ta compagne ou ton esclave ? Me désires-tu ou m’aimes-tu? Quand ta passion sera satisfaite, sauras-tu me remercier ? les plaisirs de l’amour te laissent-ils haletant et abruti ou te jettent-ils dans une extase divine ? Je t’aime sans savoir si je pourrais t’estimer, je t’aime parce que tu me plais…“ Toute la lettre est pleine de ces accents passionnés, de ces interrogations fiévreuses presque brutales qui rendent sa prose si vivante, si moderne. Pagello confesse qu’il fut subjugué par ce lyrisme débordant mais en même temps un peu effrayé. “Cette femme me fait peur ; elle me séduit par le charme irrésistible de son talent." Ce fut le début de leur liaison, liaison secrète qu’Alfred doit ignorer.

Voilà venu pour George le temps des embrasements célestes — c’est ainsi qu’il lui plaît d’évoquer pudiquement ses relations charnelles, un euphémisme qu’on retrouve sous sa plume dès qu’il s’agit de célébrer les voluptés procurées par le nouvel amant dont elle s’est entichée. Voilà pour Musset venus des temps amers. George et Pietro sont-ils discrets ? Musset prétendra plus tard, avoir vu, en face de son lit de malade, une femme assise sur les genoux d’un homme et deux têtes rapprochées par un baiser. Il se souviendra de la tasse de thé, posée sur la table, l’unique tasse de thé vide, preuve irréfutable qu’ils avaient bu tous deux au même calice. Il en concevra une jalousie folle que George Sand, troublée, n’a de cesse d’apaiser pour garder l’amitié d’Alfred et sauver sa réputation.

Mais au fond d’elle, George se sent libre de nouer une nouvelle relation avec qui lui plaît. Musset l’a repoussée. C’est un libertin qui s’est empressé de quitter sa compagne ennuyeuse et malade pour s’enivrer sans retenue et courir les filles. Combien de fois Pagello n’a-t-il pas ramené à George un Alfred ivre mort ? Elle l’a soigné avec un dévouement absolu pendant sa terrible maladie. Le Dr aussi. Ils l’ont soigné comme leur enfant chéri. Toutes les lettres qu’elle échange avec Musset après son départ, visent à accréditer la pureté de ses liens avec Pagello, tant qu’Alfred lui-même, était auprès d’eux à Venise.

Avec un machiavélisme que certains critiques se plaisent à souligner, en tout cas avec un art tout particulier de sa mise en valeur, Mme George Sand sait s’attribuer le beau rôle dans ses aventures amoureuses. En l’occurence, Musset reconnaissant, admire Pagello, son sauveur. “Quel homme que ce Pagello ! Il m’a presqu’avoué qu’il t’aime… Pagello est l’homme qu’il te fallait ma pauvre George.

George Sand et l’Italie : 6. Rencontre avec le Docteur Pagello