Quest-ce que Civita Vecchia ? Un port des États Pontificaux au nord de Rome, sur la mer Tyrrhénienne, une petite ville de 7000 habitants, vous l'avez sous les yeux ; ville puante, malpropre où lon voit des centaines de forçats traînant leurs boulets dans les rues. Ce trou est réellement plus laid que Saint Cloud, écrit Stendhal, mais papa sest ruiné. On reconnaît son langage lapidaire. Stendhal possède lart de faire court dans cette époque décrivains romantiques où la prose lyrique coule comme un fleuve, portée par des hommes océans, tels Chateaubriand ou Victor Hugo. Papa sest ruiné : comprenons que sans héritage, Stendhal doit accepter ce poste quoiquil lui en coûte. La méthode beyliste du bonheur quil sest forgée, lui donne une sorte de courage joyeux : celui de se foutre carrément de tout, comme il lécrit, formule quil abrège encore en S.F.C.D.T. ; se foutre dun traitement consulaire diminué, des mouches du Pape accrochées à ses basques, de cette ville laide et triste.
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Stendhal : Consul de France
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Heureusement, on a toujours permis au consul de Civita Vecchia davoir un pied à terre à Rome. Heureusement, le comte de Saint Aulaire, ambassadeur de France nommé dans la Ville Éternelle, le reçoit aimablement et lapprécie. Bientôt il est nommé officiellement consul de France, mais toujours suspect aux yeux du Vatican. Il na jamais caché son anticléricalisme, ce qui ne lempêche, dailleurs pas, dadmirer sans réserve, la religion catholique qui produisit des chefs-duvre tel Saint Pierre de Rome et sut inspirer les plus grands artistes. Il se plaît à mystifier les espions qui rôdent autour de lui. Il multiplie les pseudonymes (Champagne, Poverino, Cotonet, Piouf !) samuse à maquiller son écriture, utilise, dans sa Correspondance, une sorte de verlan avant la lettre. Guizot devint Zotgui, religion devient gionreli. Tout cela est assez puéril et transparent mais un beyliste doit savoir affronter gaiement toutes les situations. La vie nest pas drôle à Civita Vecchia pour cet amoureux déçu de lItalie. Il se plaint : Je comptais pouvoir vivre de beau pour tout potage, cela mest impossible. Faudra-t-il vivre et mourir ainsi sur ce rivage solitaire ? Jen ai peur.
Alors, souvent, il laisse Civita Vecchia pour sévader à Rome qui reste pour lui un havre de civilité. Dans les salons qui le reçoivent, il peut faire briller son art de la conversation et séduire encore quelque beauté sensible à sa faconde. Il fréquente la Villa Medicis, les Princes Caetani, la Comtesse Cini, observe les murs romaines et samuse de : la réunion de 40 femmes extrêmement décolletées et de 14 cardinaux, plus une nuée de prélats et dabbés. La mine des abbés français est vraiment à mourir de rire
Ils ne savent quoi faire de leurs yeux, au milieu de tant de charme. Les abbés romains les regardent fixement avec une intrépidité tout à fait louable.
Et Giulia quen est-il de la jeune italienne quil a demandée en mariage ? Celle qui sest jetée dans ses bras ? Elle lui écrit quelle ne lépousera pas. Mais quelle aimerait le revoir chez elle, près de Sienne où elle est venue sinstaller en 1833. Et il retrouve pour son bonheur sa tendre maîtresse, qui le reçoit dans sa belle villa de Vignano. Un jour, elle lui apprend quelle épouse son cousin. Stendhal nen souffre pas, en apparence. Leurs relations non plus. La véritable douceur est daimer lui écrit Giulia pleine de sagesse.
Pendant des heures, dans sa retraite de Civita Vecchia, Stendhal écrit, écrit,
Son corps est lourd mais sa plume vole sur le papier. Il travaille et compose les douze premiers chapitres de ses Souvenirs dégotisme (cest-à-dire : lart de la connaissance de soi). Lanimal nommé écrivain tel un ver à soie tisse sa propre prison. Il ajoute : pour qui a goûté de la profonde occupation décrire, lire nest plus quun plaisir secondaire
. Il écrit ce qui le brûle, ses souvenirs denfance, la vie de cet Henri Brulard, qui refuse, à jamais, de signer un ouvrage du nom de son père détesté, Monsieur Beyle. Il parle de lui, véritable égotiste qui dit je, qui dit moi, comme ce Chateaubriand quil déteste, mais il dit je, il dit moi, sans complaisance et sans enflure.
Il écrit, dit-il, pour dhypothétique lecteurs et jette des bouteilles à la mer. Il commence un nouveau roman, Une position sociale, roman non achevé. Puis il travaille de rage-pied comme il lécrit à son autre roman Lucien Leuwen, travail aussi inachevé. En 1832, il découvre à Rome de vieux manuscrits. Il va en tirer des nouvelles, connues plus tard sous le nom de Chroniques italiennes, (titre donné par son cousin et exécuteur testamentaire Romain Colomb). Dans sa correspondance du 11 novembre 1832 lon trouve cette lettre adressée à M. Levavasseur, libraire à Paris : jai acheté très cher ces vieux manuscrits à lencre jaunie qui datent du XVIème et XVIIème siècle. Il contiennent en demi patois du temps, mais que jentends fort bien, des historiettes tout à fait tragiques. Lamour y joue un grand rôle. Ce sont là les murs qui ont engendré les Raphaël et les Michel-Ange. Ces manuscrits écrits en dialecte napolitain ou romain deviendront les nouvelles de Vittoria Accoramboni, Beatrice Cenci, la duchesse de Palliano,
Dans ces historiettes du passé, il retrouve les murs de la Renaissance italienne, ce mélange de cruauté et dénergie dans la passion, où il reconnaît son propre goût pour lamour fou : la fleur délicieuse quil faut avoir le courage daller cueillir sur les bord dun précipice affreux.
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