Je vais évoquer le souvenir de François-René de Chateaubriand. Jai cherché à retrouver le grand écrivain français en Italie plus particulièrement à Rome où sa carrière politique le mena à deux reprises. Jai cherché également à faire revivre auprès de lui quelques-unes des femmes de sa vie. Celles qui en sont inséparables, celles quil rencontre ou à qui il écrit. Avant de retrouver monsieur le Vicomte dans la Ville éternelle, remontons le cours du temps vers le pays de son enfance.
Né en Bretagne, dans la cité corsaire de Saint-Malo, en lan de grâce 1768, il meurt à Paris en 1848 après une vie longue et bien remplie pendant laquelle il rédige ses Mémoires qui, sous le nom dOutre-Tombe, sont un des plus beaux monuments de la langue et de la littérature françaises. À Rome, en 1803, lui vint lidée décrire lhistoire de sa vie. Peinture dhistoire, peinture de la société de son temps, cet ouvrage est aussi son histoire, celle de ses écrits, de ses amours quoique soigneusement idéalisées. Entre autres considération sur sa personne, il se définit ainsi : Monarchiste par hérédité, légitimiste par honneur, aristocrate de moeurs, jétais républicain par bon sens. Ce chevalier breton de vieille souche, royaliste et catholique resta toute sa vie fidèle à la branche aînée des Bourbon, la seule légitime à ses yeux, et refusa farouchement de faire allégeance à la branche cadette, celle des Orléans, qui régna sur la France à dater de 1830. En tout état de cause, ce fut un libéral et un progressiste convaincu par bon sens, comme il le dit. Il se montre un ardent partisan de la liberté dexpression pour laquelle il combattra toute sa vie.
Né sous lAncien régime, le vicomte François-René connaît les bouleversements de la Révolution dont il fait un tableau saisissant dans ses Mémoires. Un ralliement à la Révolution ou à lémigration ne le tente pas ; il est attiré par laventure. Il va chercher en Amérique, une nature à la Jean Jacques Rousseau. Il apprend là-bas la fuite de Louis XVI à Varennes. Il revient à Paris et veut faire la guerre pour défendre son roi. Mais il lui faut de largent pour rejoindre larmée des Princes. Un mariage peut lui procurer les moyens de le faire. Il se marie en 1793 et part bientôt pour larmée. Plus tard, blessé, malade, il sembarque pour Jersey, puis jette lancre en Angleterre où il passe 7 ans de vie difficile mais où il écrit l'Essai sur les révolutions dans lequel il se montre disciple de Rousseau et vaguement anticlérical. Rentré en France en 1800, il voit lentrée en scène de Bonaparte. Il se fait connaître par ses écrits sous le Consulat et sous lEmpire. Après Atala, son premier succès littéraire, il devient célèbre avec un ouvrage intitulé Le Génie du Christianisme qui tombe à point. En effet cette apologie de la religion catholique va dans le sens de lentreprise du Concordat, signé en 1801, entre Napoléon et le pape Pie VII. Cela lui vaut de rencontrer Bonaparte : cet homme le fascinera, comme un double de lui-même auquel il aime à se comparer en tant que génie de la littérature. À propos de Napoléon et de son rôle dans la péninsule italienne, il note avec admiration : Il est grand pour avoir ressuscité, éclairé et géré supérieurement lItalie. Il lui doit son premier poste officiel à lambassade de Rome. Pourtant ce même Napoléon deviendra son ennemi juré après lexécution du duc dEnghien. À dater de 1804, Chateaubriand fait figure dans lopposition, fidèle soutien des Bourbon, ces Bourbon quil nestime pas, quil déteste même au dire de certains de ses contemporains. Mais il les sert. Il connaît alors de grands honneurs : il est nommé pair de France, ambassadeur, Ministre des Affaires Étrangères au Congrès de Vérone. En 1824, Villèle, chef du gouvernement, jaloux de son influence, demande son renvoi à Louis XVIII qui sexécute sans le moindre état dâme. Il est démissionné, chassé, comme il lécrira dans ses Mémoires doutre-tombe. Après la chute du gouvernement Villèle et la mort du roi, il contribue à former le nouveau ministère et accepte lambassade de Rome en 1827, sur la demande de Charles X.
En 1830, les Trois Glorieuses conduiront à la chute des Bourbon. Sous la Monarchie de juillet et le gouvernement de Louis-Philippe, il devient un opposant notoire au roi des Français : il soutient la duchesse de Berry, mère du duc de Bordeaux, reconnu comme seul héritier légitime des Bourbon, sous le nom de Henri V. Bien que le nouveau roi tente de le séduire et de lattirer dans son gouvernement, il refuse avec hauteur, fidèle jusquau bout à la Légitimité quoiquil pense de ses représentants. Les dernières années du grand écrivain seront consacrées à lélaboration de ses Mémoires. Ce travail de polissage lui demandera 30 ans avec la mise au point dune méthode qui consiste à regarder le passé pour comprendre le présent et y lire lavenir. Il rédige un Essai sur la littérature anglaise puis la biographie du réformateur de la Trappe : labbé de Rancé, travail ou pénitence demandé par son confesseur. Les visites quotidiennes à sa chère Juliette feront partie du rituel de sa vie sentimentale. Cette Juliette Récamier que jévoquerai entre autres belles amies de ce séducteur impénitent que lon surnomma lEnchanteur.
Il parcourt encore quelques lieux familiers : Londres en 1843, Prague où sest retiré le roi déchu, puis Venise en 1845. Chateaubriand séteint presque octogénaire, le 4 juillet 1848 au moment où éclate la révolution qui met fin au règne de Louis-Philippe et voit la naissance de la 2ème république. Cest lheure pour le grand homme de rejoindre lau-delà. Quelques années auparavant, il a clos le chapitre des Mémoires dOutre-Tombe par ces phrases : On dirait que lAncien monde finit et que le nouveau commence. Je vois les reflets dune aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. Il ne me reste quà masseoir au bord de ma fosse ; après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans léternité. Image sublime et éloquente.
Conformément à sa volonté, il fut inhumé, face à locéan, sur lîlot du Grand Bé, proche de Saint-Malo. Il emportait avec lui, outre-tombe, limage des merveilleuses femmes quil avait aimées et désirées au cours de son périple terrestre.
Car ce chevalier breton, le vicomte François-René, cadet sans importance, élevé aux plus hautes charges de létat, défenseur du trône et de lautel, fut un amoureux insatiable, couvert de femmes, toujours pressé de séduire, de céder à toutes les tentations de la chair quen bon catholique il sait faible et périssable. Sa vie est un roman. La liste de ses ouvrages est impressionnante. Nous savons que cet amoureux des femmes fut un travailleur acharné comme cet autre amant-écrivain de génie, logre Victor Hugo. Il débute par un coup déclat avec Atala, lhistoire dune jeune indienne de religion chrétienne qui le rend célèbre dun seul coup en 1801 (il a 21 ans). Ce succès foudroyant met toutes les femmes à ses pieds comme un parterre de fleurs à respirer et à cueillir ; de quoi senivrer ! Jai cité Le Génie du Christianisme dont lépisode le plus célèbre reste celui de René sorte dautobiographie un peu sulfureuse promise à un succès phénoménal. Tous les jeunes gens, à la suite de René, se voudront las de vivre, dégoûtés de leur siècle, perdus dans un narcissisme élégamment destructeur. Alfred de Musset est un enfant du siècle, fils de René.
Citons encore lItinéraire de Paris à Jérusalem, récit de son périple en Orient, Les martyrs et Le voyage en Italie qui nous ramène dans ce pays où nous allons le retrouver en compagnie des figures féminines intimement liées à sa vie dhomme politique et dhomme de lettres. Chateaubriand, séducteur dévoré dambition quoiquil prétende souvent le contraire ses Mémoires le prouvent ne cesse de réclamer des postes, des ambassades, des titres honorifiques, toujours à court dargent qui lui file entre les doigts. Mais personnalité complexe, pleine de contradictions ; il est aussi sauvage, dun caractère indépendant et indomptable, farouchement attaché à son honneur, marqué par la terre bretonne qui la vu naître. Il rêve et répète souvent dans sa correspondance, quil lui faut seulement un coin tranquille pour vivre et pour écrire son uvre. Dans une lettre à sa chère Juliette, il prétend : je ne souhaite quun gîte et quune fosse ; une petite chambre à un cinquième étage vaut mieux quun palais à Naples. Mais il court après les honneurs et les décorations.
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