Madame de Staël

Portrait du Baron Gérard
La douleur de ses amis est immense. Chateaubriand reçoit des témoignages de la plus vive sympathie. Madame de Staël lui écrit le 3 décembre 1803 : ”Ah! mon Dieu, my dear Francis, de quelle douleur je fus saisie en recevant votre lettre ! je n’ai lu votre récit qu’à travers les plus douloureuses larmes ; (...) J’aimais, j’admirais le caractère de madame de Beaumont, je n’en connais point de plus généreux, de plus reconnaissant, de plus passionnément sensible. Depuis que je suis entrée dans le monde, je n’avais cessé d’avoir des rapports avec elle et je sentais toujours qu’au milieu même de quelques diversités, je tenais à elle par toutes les racines. Mon cher Francis, donnez-moi une place dans votre vie. Je vous admire, je vous aime, j’aimais celle que vous regrettez.“ Germaine de Staël fut, en effet, une amie chère de Pauline avant de devenir celle de Chateaubriand. Celui-ci admirait l’écrivain et la femme qui s’opposa à Napoléon au nom d’un idéal de liberté. Pourtant il ne s’était pas privé de critiquer l’ouvrage qui la rendit célèbre, intitulé De la littérature. Mme de Staël est protestante, voltairienne, agnostique. Elle voit dans la philosophie les germes du progrès humain ; Chateaubriand lui, le voit naturellement dans le Génie du Christianisme. Il attaque son relativisme religieux, allant jusqu’à écrire à son ami Fontanes : ”Sans religion, on peut avoir de l’esprit, du talent mais il est impossible d’avoir du génie !” C’est montrer une curieuse présomption ! Émue de cette agression, Germaine se plaint à son amie Pauline qui réussit à attendrir le grand homme. Ils nouent une amitié solide jusqu’à la mort de cette femme étonnante survenue en 1817. Napoléon tient Mme de Staël loin de Paris ; il ne supporte pas la femme supérieure qui ose s’attaquer à son gouvernement.

 

 

Priée de s’exiler, Germaine de Staël vécut en Italie après la mort de son père bien aimé, le banquier genevois Necker, contrôleur des finances de Louis XVI. Cette femme remarquable, arrive à Rome en 1805 ; Chateaubriand n’y est plus depuis un an. Elle est désappointée par le chaos des ruines que forment les monuments romains et le grouillement des soutanes noires dans les rues de la ville. Mais elle se plaît à découvrir Naples puis les vestiges d’Herculanum et de Pompéi. À Rome, la colonie française est importante. Nombreux sont les artistes que fréquente Germaine de Staël. Elle trouve dans ce milieu une source d’inspiration pour son roman Corinne, qui raconte la vie aventureuse d’une femme peintre, au coeur blessé. Elle y met beaucoup d’elle-même mais aussi de son amie Pauline qu’elle pleure si fort, ce mois de décembre 1804.

Lucile ajoute sa peine à ce concert de pleurs. La soeur de René écrivait souvent à madame de Beaumont. Le poète reçut ses lettres après la mort de Lucile qui survint un an après celle de Pauline. Il se plaît à rapprocher des fragments de leurs lettres à toutes deux et à réunir ces âmes sensibles dans un même hommage : “Quand je songe que j’ai vécu dans la société de telles intelligences, je m’étonne de valoir si peu. Ces pages de deux femmes supérieures, disparues de la terre à peu de distance l‘une de l’autre, ne tombent pas sous mes yeux qu’elles ne m’affligent amèrement."

 
Chateaubriand et l’Italie - Portraits de femmes : Madame de Staël
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