Céleste, son épouse

Il est temps d’évoquer pour terminer cette épouse dont la présence-absence est si manifeste tout au long de la vie de l’auteur. Céleste au nom prédestiné, clef de voûte de la vie de son illustre mari, est renvoyée au ciel des étoiles lointaines qui éclairent froidement et ne réchauffent pas le lit conjugal. Elle est née, en Bretagne, Céleste Buisson de la Vigne, six ans après François René, non loin de Saint-Malo. Lucile est au coeur de l’affaire de son mariage. Elle a choisi pour lui, une personne qu’elle aime et que l’on croit riche : un beau parti, en somme. Possessive, elle sait aussi, peut-être que René n’en tombera jamais amoureux. Céleste n’est pas jolie, sorte de belette au long nez, sous des cheveux blonds. René, pour éviter de s’affronter à sa soeur qui veut ce mariage se laisse faire. “Faites donc“ lâche-t-il. Le voilà marié pour la vie. Marié, si peu ! Avec une femme qu’il appelle : ”ma veuve“, la reléguant dans l’au-delà de son univers sentimental. Par exemple en 1803, Chateaubriand fraîchement débarqué à Rome, confie à son ami Fontanes : ”la crainte de me réunir à ma femme, m’a jeté une seconde fois hors de ma patrie.

Mais Céleste, à défaut de beauté, a de l’esprit et du caractère ce que montrent bien ses Cahiers de souvenirs ; Cahier rouge et Cahier vert que Chateaubriand a souvent utilisés, pour la rédaction de ses Mémoires. Jeune mariée, elle sera longtemps confinée à Fougères, avant de rejoindre son mari à Paris en 1804 car il se souvient de la promesse faite à Pauline, sur son lit de mort. C’est le début de leur vie en commun, si l’on peut dire.

La grande affaire de la vie de Céleste, en dehors de sa dévotion à son grand homme de mari, fut l’Infirmerie Marie Thérèse qu’elle fonde en 1819, par quêtes et souscriptions et dont elle reste la directrice jusqu’en 1838. Elle y héberge de vieux prêtres infirmes et des dames nobles ruinées. En bonne et dévouée chrétienne, elle a ses œuvres charitables. L’administration de cet établissement est un gouffre financier pour les époux Chateaubriand. Céleste se fait quémandeuse ; toutes les “Madame“ qui visitent son mari doivent, en quelque sorte, mériter et gagner leur entrevue avec le génie bien gardé. Elles sont priées d’acheter des chocolats que la Vicomtesse fait fabriquer en grand nombre. Pas seulement les belles amies de son époux, d’ailleurs, les simples visiteurs, les jeunes poètes comme Victor Hugo, par exemple. Le fervent admirateur de Chateaubriand, qui écrivit, un jour, dans son cahier d’écolier : ”Je veux être Chateaubriand ou rien“, rendait parfois visite au Grand Sachem comme l’appelait la jeune génération romantique. Il raconte, dans : Choses vues avoir, un jour, été comblé de sourires par madame de Chateaubriand, cerbère habituellement revêche, qui le mit en demeure d’acheter ses chocolats, à un prix exorbitant, pour le jeune étudiant pauvre qu’il était alors : “le chocolat catholique et le sourire de madame de Chateaubriand me coûtèrent 15 francs, c’est-à-dire vingt jours de nourriture, c’est le sourire de femme le plus cher qui m’ait été vendu”. L’honnêteté m’oblige à préciser que l’avarice de Victor Hugo est fort connue.

En désaccord avec son mari, sur le plan politique, Céleste trouve qu’il abuse en fait de légitimisme, elle souffre aussi de ses infidélités mais quand elle a des velléités de fuite, pour la Bretagne ou pour la Suisse, il se jette à sa poursuite et n’a de cesse de la ramener chez eux. Il ne faut pas chercher de cohérence dans le cœur de Chateaubriand, ni dans celui de l’homme en général. Céleste revient pleine de joie, elle le seconde et défend ses intérêts même quand elle juge qu’il en fait trop. C’est justement le cas avec un pamphlet incendiaire, qu’il écrit : De Buonaparte et des Bourbon. Par crainte des perquisitions à leur domicile et pour plus de sûreté, elle le cache sous sa robe et s’évanouit, un jour, en pleine rue croyant l’avoir perdu.

Elle l’accompagne à Rome en 1828. Chateaubriand avait demandé à Juliette d’orner l’ambassade espérant que sa femme refuse de le suivre mais Céleste veut tenir son rang. Elle est là, omniprésente, pleine de récriminations. Lui est sombre et morose ; sa belle égérie n’est plus là pour l’aider à supporter son épouse. Il écrit à Juliette : ”Il semble que la mort soit née à Rome; on croirait entendre les squelettes passer durant la nuit de cercueil en cercueil.” Son pessimisme naturel lui fait voir tout en noir avant que la jeune Hortense Allart ne vienne ranimer la flamme et donner des couleurs à son séjour romain, ainsi que nous l’avons vu.

Malgré tout Chateaubriand sut apprécier son épouse Céleste. En tout cas, dans ses Mémoires d’outre-tombe, il lui rend un bel hommage : ”Je ne sais s’il a jamais existé une intelligence plus fine à celle de ma femme : elle devine la pensée et la parole à naître sur le front et sur les lèvres de la personne avec qui elle cause : la tromper en rien est impossible. D’un esprit original et cultivé, écrivant de la manière la plus piquante, racontant à merveille, madame de Chateaubriand m’admire sans avoir jamais lu deux lignes de mes ouvrages ; elle craindrait d’y rencontrer des idées qui ne sont pas les siennes... Les inconvénients de madame de Chateaubriand, si elle en a, découlent de la surabondance de ses qualités. Madame est meilleure que moi, bien que d’un commerce moins facile. Ai-je reporté à ma compagne tous les sentiments qu’elle méritait et qui devaient lui appartenir ? Pourrais-je comparer mes qualités telles quelles à ses vertus qui nourrissent le pauvre, qui ont élevé l’Infirmerie Marie-Thérèse en dépit de tous les obstacles ? Qu’est-ce que mes travaux auprès des œuvres de cette chrétienne ? “.

 

 
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