1845, troisième séjour de Chateaubriand à Venise

 

Pour Chateaubriand, c’est le moment du crépuscule, celui de sa vie qui décline doucement.

 

Il reviendra une troisième et dernière fois à Venise en 1845 — 9 ans plus tard — il a 77 ans. 3 ans avant sa mort, il rêve encore de la Sérénissime… il en parle à Juliette. Depuis 1842 il évoque sans cesse un départ avec elle. Venise serait le but unique du voyage. “Je ne pense plus qu’à Venise, lui écrit-il, c’est là qu’il nous faut finir, dans une ville qui nous appartient.” Pourtant c’est encore seul qu’il y revient cette année-là.

Mélancolique voyageur, il écrit que Venise lui semble ”toujours belle, un peu triste !” En plein accord avec son âme.

À Juliette : “Quand je regarde cette mer si triste, je pense à vous. Adieu Venise que je ne reverrai plus sans doute je vous quitte en jetant un regard sur cette triste mer qui ne se souvient déjà plus de Lord Byron, son nom est effacé (…). Les échos du Lido ne le répètent plus.” Ton funèbre, Venise éteinte, peuplée de fantômes, celui de Lord Byron hante toujours René.

Mais l’auteur est là toujours vivant, prêt à répondre à celui qui l’appelle à Venise. Au printemps 1845, le fils de la duchesse, Henri V veut voir auprès de lui, le vieux vassal, toujours fidèle aux Bourbons déchus. Henri a vingt cinq ans, il occupe le Palais Danieli, alors Maison de France dont les poteaux étaient marqués de trois fleurs de lys. C’est là, près de la place Saint Marc qu’il séjournera du 7 au 11 juin 1845, toujours épris de Venise, “où je voudrais qu’on m’exilât avec vous” écrit-il à Juliette.

Verra-t-il le palais Vendramin Calergi, qu’acheta la duchesse, Marie Caroline l’année précédente ? Palais que vous voyez, appelé aussi “Non nobis Domine” (Pas à nous Seigneur) du nom de l’inscription lisible sur la pierre. La duchesse y vécut quelques années fastueusement, dépensant sans compter pour se constituer une pinacothèque célèbre en son temps — les Bellini, Tintoret, Veronèse, Titien et autres grands peintres français ornaient les mûrs de son palais. Bientôt les moyens financiers lui manquèrent. Pour calmer les créanciers, son fils Henri dut mettre en vente le palais et ses collections de peintures. La fougueuse napolitaine quitta son palais et la ville de Venise. Elle vécut alors en Styrie, où elle mourut en 1870.

L’on imagine Chateaubriand devant Venise : il regarde la ville noyée dans le soleil couchant. Elle est un peu la sienne, maintenant. Désormais la Cité des Doges porte le souvenir du poète français. Lui aussi, grâce à son Livre, a écrit la légende de Venise. Les mots de l’enchanteur courent sur les flots et saluent la reine de l’Adriatique : “Venise décrépite… avec sa chevelure de clochers, son front de marbre, ses rides d’or, languit… enchaînée au pied des Alpes du Frioul…

Venise, comme un reflet de sa propre décrépitude, le regarde et la symbiose s’établit entre le poète et la ville.

Venise, une ville pour l’éternité.

 "Réverie au Lido"
1845, 3ème séjour à Venise
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