Stendhal

(1783-1842)

Un amoureux de l’Italie


L’épopée napoléonienne

L’épopée napoléonienne est en marche. Enrôlé dans l’armée du premier Consul, il suit les frères Daru en route vers l’Italie où commence, pour lui la vraie vie. Il note dans son autobiographie, (“Vie de Henri Brulard“) : “J’ai eu un lot exécrable de 7 ans à 17 ans, mais depuis le passage du Mont Saint Bernard (à 2491 m d’élévation, au-dessus de l’océan) je n’ai plus eu à me plaindre du destin, au contraire à m’en louer.

Le bonheur commence au mois de mai 1800. Il vient d’apprendre à se tenir sur un cheval, à manier un sabre. Il n’est plus “La poule mouillée complète“qu’il se plaint d’avoir été sous le gouvernement étriqué du clan Beyle. Il voit le feu pour la première fois. Face à l’ennemi, il fait preuve de courage. Fier de lui, il exulte : “J’étais absolument ivre, fou de bonheur et de joie. Ici commence une époque d’enthousiasme et de bonheur parfait.” Plein d’allégresse, ayant eu l’heur de plaire à son capitaine, l’adolescent s’amuse ; il apprend ses premiers mots d’italien de la bouche d’un curé qui héberge les soldats vainqueurs. “Donna voulait dire femme, cattiva mauvaise.” Tout un programme pour cet amoureux de l’amour que les femmes vont si bien faire souffrir ! Le voilà tout près de Milan, dans les murs d’Ivrea, où il va connaître une sensation nouvelle, exquise, indicible : ”Enfin, j’allais au spectacle ; on donnait le Matrimonio segreto de Cimarosa ; l’actrice qui jouait Catherine avait une dent de moins sur le devant. Voilà tout ce qui me reste d’un bonheur divin.” Ce soir-là, Henri Beyle accomplit sa mue ; il laisse tomber sa peau malade et revêtu de frais, s’enivre de ce nouveau pays. “Vivre en Italie et entendre cette musique devint la base de tous mes raisonnements.“ Le lendemain, il parle de son bonheur, s’exalte et caracole vers Milan, au milieu d’une armée de jeunes conquérants.

Bonaparte, franchissant
le col du St Bernard,
par J.-L. David
Quatre ans auparavant, en 1796, l’armée française entrait en Italie. Rien ne peut mieux donner l’idée de cette intrusion magnifique que le chant rapide de la phrase, l’allegro musical qui ouvre le roman de "La Chartreuse de Parme", ce roman que Stendhal écrivit, bien des années plus tard, en 1838. “Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d'apprendre au monde, qu'après tant de siècles César et Alexandre, avaient un successeur. Les miracles de bravoure et de génie dont l'Italie fut témoin en quelques mois, réveillèrent un peuple endormi, huit jours encore avant l'arrivée des Français (…).” “Le même jour, on affichait l'avis d'une contribution de guerre de six millions, frappée pour les besoins de l'armée française, laquelle, venant de gagner six batailles et de conquérir vingt provinces, manquait seulement de souliers, de pantalons, d'habits et de chapeaux.

Stendhal poursuit : “La masse de bonheur et de plaisir qui fit irruption en Lombardie avec ces Français si pauvres fut telle que les prêtres seuls et quelques nobles s'aperçurent de la lourdeur de cette contribution de six millions, qui, bientôt, fut suivie de beaucoup d'autres. Ces soldats français riaient et chantaient toute la journée ; ils avaient moins de vingt-cinq ans, et leur général en chef, qui en avait vingt-sept, passait pour l'homme le plus âgé de son armée.

Cette masse de bonheur et de plaisir dont parle l’écrivain, emporte Henri Beyle au galop des chevaux qui entrent à Milan le 10 juin 1800, dans le sillage de l’armée victorieuse qui occupe le nord de l’Italie. “Excepté le bonheur le plus vif et le plus fou, je n’ai réellement rien à dire d’Ivréa à Milan. La vue du paysage me ravissait... Milan a été pour moi le plus beau lieu de la terre, le lieu où j’ai constamment désiré habiter.” On l’a compris, Henri Brulard tombe amoureux de l’Italie, de ses couleurs, de sa musique : Cimarosa (1749-1801) sera avec Mozart, l’un de ses musiciens préférés. Après ce coup de foudre pour la musique, Stendhal gardera toute sa vie, le goût de l’opéra, particulièrement de l’opera-buffa qui fera ses délices. Ce mélange de passion et de comique enchante celui qui voulait devenir un nouveau Molière et que le Don Quichotte de Cervantes faisait mourir de rire.

L’épopée napoléonienne (1799-1814) — 1